Le Village de Wodecq


Le Village de Wodecq :

L'Endemaine et les Terres de Débat


Quittant son centre de peuplement originel, à savoir le Hameau de La Pierre, le Village de Wodecq s'est développé autour d'une importante exploitation agricole dirigée par un « villicus » ; ce mot évoque à la fois un gardien, un intendant et un métayer.


Ceux que l'histoire des noms de lieux intéresse trouveront dans le livre de Rudy Cambier l’explication des deux noms sous lequel le village est familièrement connu : Ok et Wodecq ; bien qu’en 1163, on trouve l’orthographe suivante : Voldeka.


La version latine « Wodeka » figure telle quelle dans des actes du 13ème siècle, notamment dans un acte d’Arnulfus de Audenarde du 30 juin 1210 concernant le don de la dîme de Wodecq à l’Abbaye de Cambron (« ecclesie beate Marie de Camberon »), reproduit par Frédéric Auguste Ferdinand Thomas, baron de Reiffenberg, dans ses « Monuments pour servir à l'histoire des provinces de Namur, de Hainaut et de Luxembourg,  Tome 2, Deu-xième partie (Page 751).


Ok, le nom populaire du village, qui figure sur certaines cartes anciennes avec l’orthographe « Woq », est un mot d’origine nervienne, qui signifie le chêne, c'est l’arbre le plus sacré de nos lointains ancêtres gaulois, qui a pu donner son nom à la localité, en raison de la présence d’un arbre remarquable.


Sur ce point, le témoignage du Vieil Rentier d’Audenarde vient compléter les indications de la Carte de Fricx, en considérant que le peuplement original de la localité se situait dans le Hameau de La Pierre et qu’il tire son nom d’un élément emblématique situé à cet endroit.


On peut y lire qu’un certain Thiris Godefrois, dont l’identité importe peu, possédait une terre qui se situait  « au Caisne à le Pierre, seur le cauchie » et qu’un certain Thiris li Fèvres de le Pierre, dont l’identité n’importe pas davantage, possédait une maison « à le Pierre, devant le Caisne » ; il y est encore question d’un pré « à Waudèke  … ki joint au pire » et d’une masure où « maint » un autre habitant « à le Pierre ». Sur le plan philologique, il faut noter que « le » est la forme écrite normale de l’article féminin singulier en ancien picard. Ainsi donc, le chêne, la pierre  et la chaussée paraissent constituer, en suivant un ordre décroissant, c’est-à-dire en commençant par le plus important, les trois éléments les plus remarquables du paysage contemporain de la première urbanisation des lieux.


Le statut particulier du Village de Wodecq au cœur des Terres de Débat explique pourquoi les Templiers, fuyant le Royaume de France, ont choisi cette humble destination pour dissimuler leur dépôt précieux.


En 814, Louis le Pieux, fils de Charlemagne, afin d'obtenir le pardon pour la vie dissolue qu'il menait à grand fracas (et aussi pour les immenses et innombrables péchés de son père Charlemagne) fonda pour son ami Saint Benoît d'Aniane et l'Ordre des Bénédictins qu'il venait de réformer, l'Abbaye de Kornelismünster, à une dizaine de kilomètres au sud d'Aix-la-Chapelle.


En 825, afin d’assurer aux moines des revenus supplémentaires, il fit don à l'abbaye de plusieurs domaines, notamment la région dont fait partie le Village de Wodecq, à savoir : le Monastère de Renaix et de la partie des terres d'Ellezelles qui en dépendaient, ...


L'abbaye de Kornelismünster a été contruite dans une boucle formée par une petite rivière : l’Inde, d’où son nom de « Monasterium ad Indam » ; c’est pourquoi elle est aussi connue sous le nom d’Abbaye d'Inde ; la Terre d'Inde était  appelée le Tenement d'Inde.


Dans le Village de Wodecq, la propriété de l’Abbaye d’Inde sont mentionnées dans le Vieil Rentier d’Audenarde comme « l’Endemaine », c’est-à-dire le domaine propre de l'Abbaye d’Inde; c'étaient les terres que le monastère possédait « en demaine » et non « en hommage », du latin « indominicatum », qui vise précisément la partie d'une seigneurie que le propriétaire, qui est déjà un seigneur (dominus), s'est réservée (réserve seigneuriale) pour une exploitation directe, par opposition, soit aux terres concédées à des tenanciers (les tenures) contre services (les corvées, à éxécuter sur la réserve seigneuriale) et redevances en nature ou en numéraire (soit immuable, soit à part de fruit, en fonction de l'importance de la récolte), soit, plus rarement, aux biens donnés à titre précaire ou en bénéfice. Alors que les seigneurs laïcs ont tendance à procéder à un lotissement de leur réserve par la constitution de tenures paysannes, dans les seigneuries ecclésiastiques, la réserve se maintient, mais moyennant une innovation dans le mode d'exploitation par le développement du fermage : le seigneur cède la jouissance d'une parcelle à un exploitant pour une durée déterminée et moyennant une redevance fixe). Progressivement, les tenues deviennent perpétuelles, héréditaires et aliénables et les corvées tendent à disparaître.


En raison de l’éloignement géographique, les Seigneurs d’Audenarde s’étaient imposées en tant qu’avoués de l’Abbaye de Kornelimünster, afin de représenter son autorité et de percevoir ses revenus. En 1241, en échange de sa vassalité, les moines accordèrent à Jean d'Audenarde, un accroissement de fief comprenant la moitié du warechaix de Wodecq ; toutefois, les moines se lassèrent de posséder un bien si lointain qui finissait par occasionner plus de frais que ce qu’il rapportait.


En 1280, l’entièreté des localités qui constituaient le domaine de l’Abbaye d’Inde furent achetée par le Comte de Flandre, Gui de Dampierre ; il emporta l’affaire en surenchérissant sur les moines de l’Abbaye de Cambron, qui s’étaient montrés intéressés par cette opération, dans la mesure où ils possédaient déjà la Ferme de Cambroncheau. Ainsi, tout comme le Village d’Ellezelles, le Village de Wodecq s’est-il retrouvé dans les « Terres des Débats ».


Dès lors, la signification de ces vers d’Yves de Lessines devient transparente :


Par Mars ouvert Arles ne donra guerre

De nuict seront les soldats estonnez

Noir blanc à l'inde dissimulé en terre,

Sous la feincte ombre traistre verez et & sonnez


Noir et blanc, ce sont les couleurs de Beauçant (ou mieux « bausant », qui signifiait pie, comme les couleurs de cet oiseau, c’est-à-dire précisément : noir et blanc), le grand étendard de l’Ordre du Temple.


L’indication « à l’inde dissimulé en terre » ne pouvait qu'indiquer à l'Attendu l’ancien domaine de l'Abbaye de Kornelismünster comme le lieu de la cachette.


Ecartant les mauvaises lectures de la transcription du texte original pour sa publication, il faut lire le dernier vers ainsi : « Sous la sainte ombre, traitée en vers et en chansons ». N’est-ce pas précisément l’objet de l’effort qui incombe à tout lecteur du poème d’Yves de Lessines : trouver la lumière de la signification de chaque quatrain ?


Si Gui de Dampierre était si intéressé par cette opération, c’est pour les mêmes raisons que les Seigneurs d’Audenarde : sa localisation stratégique de la région, entre le Comté de Hainaut et le Comté de Flandre ; pour sa défense, le Comté de Hainaut avait procédé à la création de la Châtellenie d’Ath, avec le site fortifié de la Tour Burban, en raison de la fortification de la Ville de Lessines et de la construction du donjon de Flobecq à l’initiative du Seigneur de Pamele, Arnould IV d’Audenarde au début du 13ème siècle.


Après la mort de Charlemagne, le partage de son empire par le Traité de Verdun, en 842, est réalisé sur la base des quatre grands fleuves l’Escaut, la Meuse, le Rhône et le Rhin. Ainsi l’Escaut marquait-il au Moyen Age la frontière entre le Royaume de France et l’Empire Romain Germanique, de sorte que, selon le système féodal, le Comte de Flandre était le vassal du Roi pour les terres qui s’étendaient à l’ouest du fleuve, qui constituaient la Flandre Royale, mais aussi le vassal de l’Empereur, pour les terres qui s’étendaient  à l’est du fleuve, qui constituaient la Flandre Impériale ; ces dernières étaient regroupées dans le cadre du Comté d’Alost, dont relevaient notamment Audenarde, Renaix et Grammont.


Si la dévolution du Royaume de France suivait l’ordre successoral héréditaire, l’Empereur était élu. Au début du neuvième siècle, le Comte de Flandre était uniquement le vassal du Roi de France. En tant que seigneurs frontalier (c’est-à-dire forestiers), le Comtes de Flandre connaissaient les avantages de dépendre à la fois de deux suzerains ennemis entre eux. A la faveur d’un changement de dynastie française et de problèmes de successions germaniques, le Comte de Flandre reçut en 1018 de l’Empereur Henri II les Quatre Métiers (en néerlandais : De Vier Ambachten, à savoir : Axel, Hulst, Boekhoute et Assenede), ainsi que cinq îles zélandaises (Walcheren, Zuid-Beveland, Noord-Beveland, Borsele et Wolphaartsdijk). Entre l’Escaut et la Dendre, il bénéficia d’un nouvel accroissement de domaine en 1056 avec l’acquisition du Margraviat d’Ename, qui deviendra plus tard le Comté d’Alost, par un échange de territoire avec le Duc de Lotharingie, Godefroid III le Barbu, à savoir l’oncle de Godefroid de Bouillon, tandis que le fils du Comte de Flandre se mariait avec la veuve du Comte de Hainaut, Herman ; finalement, il procéda à l’annexion du Pays de Waes en 1076.


L’élection de l’Empereur était toujours un événement conflictuel et ruineux, en raison des multiples luttes d’influences auxquelles elle donnait lieu ; en 1356, Charles IV finira par régler la question par la Bulle d’Or de Metz, en remettant définitivement le pouvoir électif à sept grands princes laïcs et ecclésiastiques : le Roi de Bohême, le Comte Palatin du Rhin, le Duc de Saxe et le Margrave de Brandebourg, ainsi que les Archevêque de Cologne, Mayence et Trèves.


Auparavant, l’élection était assurée par la Diète, où siégeaient tous les vassaux directs de l’Empire. Pourtant, le Comte de Hainaut n’en faisait pas partie, parce qu’il tenait son fief par l’intermédiaire du Prince-Evêque de Liège : le Comté de Hainaut était un fief indirect de l’Empire. En revanche, le Comté d’Alost en était un fief direct, de sorte qu’à ce titre, le Comte de Flandre fut un électeur jusqu’en 1356.


Entre la Châtellenie d’Ath et le Comté d’Alost s’étendait la Seigneurie de Lessines et de Flobecq, deux localités qui avaient le statut de villes et constituaient, avec cinq villages (Ellezelles, Wodecq, Ogy, Papignies et Bois-de-Lessines), les « Terres de Débat », dont le statut politique et juridiques passait déjà à l’époque pour le modèle de l’imbroglio.


La Querelle des Terres de Débat s’inscrivait dans le cadre d’un conflit familial concernant en même temps la possession du Comté de Flandre et du Comté de Hainaut.


Baudouin IX de Flandre était en même temps Baudouin VI de Hainaut. Il était Comte de Flandre et de Hainaut ; de son épouse, Marie de Champagne, il avait eu deux filles : Jeanne et Marguerite. En 1202, il était parti à la Quatrième Croisade ; ainsi devint-il l’Empereur Latin de Constantinople ; son épouse le rejoignit deux ans plus tard, confiant ses deux enfants, aux bons soins de leur oncle, Philippe de Namur, puis de l'Evêque de Liège. Marie de Champagne meurt en 1205 et son époux disparaît l'année suivante. Philippe de Namur, qui assure la régence à son plus grand profit, confie les deux orphelines à Philippe-Auguste, le Roi de France, qui concède à son tour leur garde à Enguerrand III de Coucy.


Vers 1212, alors qu'elle n'a que dix ans, Marguerite est confiée à un parent, le quadragénaire Bouchard d'Avesnes, Grand Bailli du Hainaut, qui s'empressa d’épouser la toute jeune fille. Les deux sœurs se déchirèrent à propos de la part successorale de Marguerite, Jeanne tentant de faire dissoudre le mariage en raison d’une cause de nullité résultant de l’ordination de Bouchard d’Avesnes comme sous-diacre de l'église de Laon dans sa jeunesse. Après une enquête succincte, le Pape Innocent III, saisi de l’affaire, s’était contenté de condamner l’union, sans pour autant annuler formellement le mariage. Aussi Bouchard et Marguerite continuent-ils de mener tranquillement leur vie familiale, ayant deux fils : Jean et Baudouin, tant et si bien que leur conflit avec Jeanne ne manqua pas de prendre de l’ampleur. Bouchard d’Avesnes fut capturé et emprisonné en 1219, puis libéré en 1221, à la condition que le couple se sépare et qu’il obtienne l'absolution papale. Tandis qu'il se trouve à Rome pour plaider sa cause, Jeanne parvient à convaincre Marguerite de se remarier, avec Guillaume de Dampierre, un noble champenois qui lui paraissait faire un mari plus convenable. Cette situation fut la cause d'un véritable scandale, parce qu’un tel mariage n’était pas davantage valide, puisqu’il mettait Marguerite en situation de bigamie. Toutefois, ce second mariage donna naissance à quatre enfants : Guillaume III (1224-1251), Comte de Flandre et Seigneur de Courtrai, Gui de Dampierre (1225-1305), Comte de Flandre et Margrave de Namur

Jean I (+ 1258), Seigneur de Dampierre, Vicomte de Troyes et Connétable de Champagne, et Jeanne, mariée en 1239 à Hugues III de Rethel (+ 1243), Comte de Rethel, puis en 1243 à Thiébaud II (+ 1291), Comte de Bar. Le conflit concernant la validité des deux mariages et la légitimité des enfants qui en résultèrent ont perturbé la situation politique du Royaume de France et de l’Empire Romain Germanique pendant des décennies.


À la mort de Jeanne de Constantinople, en 1244, Marguerite de Constantinople  succède à sa sœur aînée, devenant à son tour Comtesse de Flandre et de Hainaut.


En 1246, le Roi de France, Louis IX, opère un arbitrage des droits de succession de chaque branche familiale, accordant le Comté de Flandre aux enfants de Guillaume de Dampierre, et le Comté de Hainaut aux enfants de Bouchard d’Avesnes. La question paraissait réglée, mais en 1253 de nouveaux problèmes surgissent : Jean, le fils aîné de Bourchard d'Avesnes n’est pas satisfait de son sort ; il persuade son beau-frère, Guillaume II, Comte de Hollande et Roi de Germanie, de s'emparer du Comté de Hainaut et de la Flandre Impériale. Une guerre s'ensuit, qui se termine par la victoire de la Famille d'Avesnes lors de la bataille de Walcheren (Westkapelle).


Outre la Querelle des Avesnes et des Dampierre, les Terres de Débat faisaient l’objet d’un conflit entre le Comte de Flandre et son vassal, Jean d’Audenarde, Seigneur de Pamele et d’autres lieux.


C’est vraisemblablement lorsque Jean d’Audenarde est devenu le seigneur de la Terre de Lessines et de Flobecq, après la mort de son père, Arnould IV d’Audenarde, en 1242, qu’il désigne Jehan Despretz  de Quiévrain en qualité de châtelain de ces deux villes.


Grand Bailly de Flandre et fidèle serviteur du pouvoir comtal, Arnould IV d’Audenarde s’était constitué un gigantesque domaine, composé de terres situées principalement entre l’Escaut et la Dendre ; à la faveur de son dévouement et des événements politiques, il était devenu le personnes les plus importants du comté : il avait été créé premier « ber » de Flandre par Jeanne de Constantinople, Comtesse de Flandre et de Hainaut, qu'il avait secondée dans le gouvernement de ses domaines pendant l'absence de son mari, Ferrand de Portugal; ce dernier avait été fait prisonnier par le Roi de France, Philippe Auguste, à l'issue de la Bataille de Bouvines, le 27 juillet 1214, puis enchaîné et transporté en cage jusqu'à Paris, où il est resté en captivité dans le Château du Louvre pendant douze ans.


En raison de l'étendue des ses possessions, Arnould IV d’Audenarde recevait l'hommage de plus de 130 vassaux directs. Outre ses droits fonciers, il exerçait également le droit de ban d'origine régalienne.


En effet, en droit féodal, les seigneurs avaient sur leur seigneurie autant de pouvoir qu'un roi sur son royaume. Ce pouvoir seigneurial, qui s'appelle le droit de ban, s'exerce sur tous les habitants de la seigneurie. Il se compose de prérogatives judiciaires (le seigneur rend la justice, il fait arrêter les coupables, les juge et les fait punir), économiques (le seigneur est responsable du fonctionnement de son domaine, notamment par la construction des routes, des ponts et des moulins,  et par la location des tenures) et militaire (le seigneur défend sa seigneurie avec l'aide de ses vassaux; il doit protétéger les habitants de ses campagne et de ses villes). Les prérogatives seigneuriales s'étendaient à la domination des grands chemins et des solitudes forestières, mais aussi des cours d'eau (en l'occurrence l'Escaut en amont et en aval de son fief de Pamele, contingü à la Ville d'Audenarde, et la Dendre en aval de sa Ville de Lessines); en effet, ces prérogatives ne s'attachaient pas à son domaine foncier, mais à son château, et couvraient tout le territoire qui constituait le ban de la forteresse, plus vaste que les propriétés du châtelain. Ainsi, la seigneurie banale s'exerce sur les habitants ; elle vise tous les habitants de la châtellenie quel que soit le statut de la terre qu'ils occupent; bien qu'il ne s'agisse pas d'un pouvoir sur la terre, la seigneurie banale est inextricablement liée à la seigneurie foncière.


En plus de ses différents alleux et fiefs, Arnould IV d’Audenarde s’était imposé comme l’avoué de l’Abbaye d’Inde; ainsi devint-il officiellement en 1248 le protecteur de la seigneurie dont disposaient les moines de Cornelimunster, près d'Aix-la-Chapelle.


A partir de 1275, à l’appui de ses prétentions domaniales, Jean d’Audenarde fit rédiger un inventaire complet de ses possessions : c’est le Vieil Rentier ; s’y retrouvent tous les toponymes de l’époque, le recensement de toutes les terres avec l’indication de leurs tenanciers et du montant de la redevance féodale de chacun, conformément au mode de possession juridique ordinaire : le fief. Ce document conservé dans les Archives Générales du Royaume constitue une source de document du premier plan ; sur le plan linguistique, le texte est contemporain de la rédaction des Centuries ; Yves de Lessines a probablement eu ce document sous les yeux à l’Abbaye de Cambron, lors de sa rédaction par les clercs mandatés par Jean d’Audenarde, puisque la rédaction du document se poursuit jusqu’en 1291.


Sans doute est-ce également en raison de ce conflit avec son vassal que Gui de Dampierre s’empressa d’acquérir les possessions de l’Abbaye d’Inde dans la Région des Collines.


Le conflit entre les deux familles comtales n’avait pas cessé, mais il reprit toute son acuité à la mort de Marguerite de Constantinople, à la fois Comtesse de Hainaut et Comtesse de Flandre, le 10 février 1280. Ses possessions avaient été réparties entre son petit-fils, Jean d'Avesnes, qui hérita du Comté de Hainaut (sous le nom de Jean Ier de Hainaut), et son fils Gui de Dampierre, qui obtint le Comté de Flandre. À cette époque, le seigneur des terres de Lessines et de Flobecq était Jean d'Audernarde. Dès le 13 juin 1280, il s’était empressé de déclarer que ces terres relèvent du Comte de Hainaut, à l’exception toutefois du donjon de la Ville de Flobecq. L'année suivante, il prétend cependant les tenir du Comté de Flandre, de même Meere, Pamele, Wacken, Maulde et leurs dépendances. Le 1er septembre 1282, il fait alliance avec Jean d'Avesnes, auquel il donnera comme garantie, d’abord sa Ville de Feignies, puis, le 12 juin 1285, tous les biens qu'il possède dans le Comté de Hainaut. Malgré ce traité, il affirmera encore, en 1283, que la Ville de Lessines doit fidélité au Comte de Flandre.


Cette apparente versatilité s’avéra désastreuse pour la région. En 1302, la Ville de Lessines reconnait le Comte de Hainaut, Jean d'Avesnes, comme son souverain légitime, reniant finalement son serment de fidélité à l’égard du Comte de Flandre. En 1303, la ville sera assiégée par les troupes flamandes ; n’ayant pu être secourue par les troupes hennuyères, l’opération se terminera par une victoire flamande, suivie par le pillage et l’incendie de la ville.


Toutefois, il faut bien dire que ni le Seigneur d’Audenarde ni les habitants de ses terres ne savaient plus à quel suzerain se vouer depuis qu’arrivé à la tête du Comté de Flandre, Gui de Dampierre avait refusé de faire hommage à l’Empereur, Rodolphe de Habsbourg, pour la Flandre Impériale, à savoir le Comté d’Alost et ses dépendances, où se trouvait la Seigneurie de Pamele, située sur la rive orientale de l’Escaut, tandis que sa voisine, la Seigneurie d’Audenarde, se trouvait sur la rive occidentale et dépendait de la Flandre Royale. En bref, la Flandre Impériale, c'était la partie du Comté de Flandre qui se situait à l'est de l'Escaut, qui marquait la frontière entre le Saint Empire Romain Germanique et le Royaume de France, dont dépendait la Comté de Flandre située à l'ouest de l'Escaut. Ainsi le Comte de Flandre relevait-il, sur le plan féodal, à la fois du Roi et de l'Empereur. Mais la puissance économique, démographique et militaire flamande encourageait le comte à s'affranchir de l'un et de l'autre autant qu'il le pouvait, d'où les guerres continuelles visant à établir l'hégémonie des suzerains sur leur vassal turbulent.


Par représailles, l’Empereur avait investi de la Flandre Impériale le Comte de Hainaut, Jean d’Avesnes, qui n’était autre que le demi-frère de Gui de Dampierre. Cette décision resta sans effet sur le plan pratique, puisque les Flamands tenaient solidement ces terres, mais elle déclenchera une nouvelle campagne d’hostilités.


Le conflit successoral des deux familles pour les deux comtés se terminera par un accord entre le suzerain et le vassal, de sorte que le Comte de Flandre récupèrera ses droits féodaux sur le Comté d’Alost.


Pour l’époque, l’enjeu était considérable : si le Comte de Flandre conservait ses droits féodaux sur le Comté d’Alost, il continuait à siéger à la Diète ; si le Comte de Hainaut conservait l’investiture du Comté d’Alost, il devenait un électeur.


Ainsi Yves de Lessines désigne-t-il ce territoire dans les Centuries par ce quatrain qui parle du transport d’une partie du trésor par un fidèle frère templier auxerrois en passant par Nancy, ce qui constituait le seul chemin possible pour venir de Bourgogne jusqu’à La Pierre en évitant soigneusement les domaines du Roi de France, Philippe le Bel, car la Lorraine relevait à cette époque de l’Empire Romain Germanique, mais qui constituerait un itinéraire totalement stupide en temps normal :


Le lys Daussois portera dans Nansi

Jusques en Flandre Electeur de l’Empire

Neuve obtenue au grand Montmorency

Hors lieux prouves delivre à clere peyne


La « Flandre Electeur de l’Empire », c’est la Flandre Impériale, dont fait partie le Village de Wodecq depuis l’achat, en 1280, par Gui de Dampierre, de l’Endemaine, c’est-à-dire le Domaine de l’Abbaye de Kornelimuster, sur la Rivière d’Inde, près d’Aix-la-Chapelle, d’ailleurs au nez et à la barbe des moines de Cambron.


Bien entendu, un tel concept n’a plus aucun sens politique à l’époque de Michel Nostradamus, puisqu’en sa qualité de Comte de Flandre, Charles-Quint était son propre suzerain ; bien mieux, il avait érigé sa terre natale en Etat indépendant dégagé de toute soumission vassalique, en détachant les Dix-Sept Provinces de ses Pays-Bas de l’hommage qui devait auparavant être rendu tant à l’égard du Royaume de France qu’à l’égard de l’Empire Romain Germanique ; les Etats Généraux avaient voté cette constitution, qui précisait que le chef du nouvel Etat serait obligatoirement un membre de la Famille de Habsbourg.


Toutefois, à l’époque d’Yves de Lessines, il s’agit d’une réalité tragique qui alimente sans cesse l’actualité, au détriment des populations des Terres de Débats, régulièrement parcourues par des mouvements de troupes : lorsque le bétail et les récoltes ne font pas l’objet de rapines, les habitants sont les victimes des exactions les plus diverses.

 

Le 22 août 1304, Jean d'Avesnes meurt et son fils, Guillaume Ier, lui succède à la tête du Comté de Hainaut, tandis que Robert de Béthune devient Comte de Flandre (sous le nom Robert III de Flandre), après la mort de son père Gui de Dampierre, le 7 mars 1305. La guerre continue entre les deux comtés pour la possession de la Seigneurie de Lessines et de Flobecq.


Un traité confirmé par un diplôme de Louis de Bavière, le 3 mars 1324, laissera finalement la seigneurie au Comté de Hainaut, à charge toutefois d’en rendre hommage au Comte de Flandre, puis, en 1335, le Seigneur d’Audenarde, Guillaume de Mortagne, vendra l’ensemble des terres à Guillaume Ier.


Cette acquisition ne mettra toutefois pas fin aux conflits de juridiction et de coutume ; malgré de nombreux arbitrages, il faudra attendre 1515 pour qu’un expédiant soit mis au point sous Charles Quint, en plaçant la seigneurie sous équestre et en permettant aux habitants de faire appel des décisions judiciaires directement devant le Grand Conseil de Malines, plutôt que devant le Conseil de Hainaut ou le Conseil de Flandre. La querelle ne prendra fin définitivement fin qu’en 1737 sous le règne de Marie-Thérèse.


Dès lors, à l’époque d’Yves de Lessines, les terres du Village de Wodecq sont la propriété de Gui de Dampierre. Ainsi, ces vers du poème ne s’éclairent-ils pas ?


Dessous de chaine Guien du Ciel frappé,

Non loing de là est caché le thresor,

Qui par long siecles avoit esté grappé,

Trouvé mourra, l'œil crevé de ressort.


Au sein des terres de débat, Wodecq possédait un statut particulier, ce qui en faisait un lieu de refuge idéal.


Le châtelain ou bailli de Lessines et de Flobecq y exerçait la haute justice, mais la mairie avait été constituée par Gui de Dampierre comme un fief héréditaire relevant de la Baronnie de Renaix et on y appliquait la Coutume d'Alost.


Depuis le 12ème siècle, l’Abbaye de Saint-Amand détenait une seigneurie, une grange aux dîmes, et l’autel de l’église actuelle, construite au centre du village. Toutefois, la seigneurie principale du village appartenait depuis 1297 à la famille de Gavre, qui conserva ce fief jusqu’en 1460.


Le Chapitre de la Cathédrale Notre-Dame de Cambrai possédait également certains biens dans le village. Bref, le Village de Wodecq constituait une « terre de débats » au sein des « terres de débat ».


Bref, il ne suffisait pas de trouver le bon juge, il fallait encore déterminer la coutume applicable, puisque, sur la place du village, quatre régimes juridiques différents pouvaient être invoqués. Chaque parcelle de terre pouvait se caractériser par un statut juridique différent de la voisine. Même la perception de la dîme posait problème : l’impôt ecclésiastique, constitué depuis Charles Martel d’un dixième des revenus de chaque terre au profit de l’Eglise.


Bref, l’ensemble de ces conflits séculaires firent longtemps de la Terre des Débats une région où aucune autorité n 'était durablement reconnue : ni celle du Comte de Flandre, ni celle du Comte de Hainaut. Un embrouillamini idéal pour y cacher un dépôt important, dans une terre sans véritable maître, et donc relativement indépendante.


Par ailleurs, qu’elles dépendent de l’un ou l’autre comté, ces contrées marginales relevaient de l’Empire Romain Germanique, de sorte que le Roi de France ne pouvait pas y exercer la moindre autorité, bien qu’elles soient situées à proximité de son royaume, ce qui constituait la possibilité de refuge la plus immédiate, avec un accès directe par l’antique chaussée partant de Bavay.


De plus, la suzeraineté impériale s’avérait purement théorique, depuis le grand interrègne qui avait suivi la mort de Frédéric II Hohenstaufen ; en tous cas, elle n’avait rien de commune avec la lourde tutelle française de Philippe le Bel, qui, sans trève ni repos, n’avait de cesse que de mettre en pièces le pouvoir des plus grands feudaires, à commencer par le plus riche d’entre eux, le Comte de Flandre, dont les terres étaient comparées avec le Jardin des Hespérides.


L’Empereur n’était qu’un personnage lointain et faible, auquel il arrivait même que le Comte de Flandre se permette de refuser l’hommage vassalique, alors que sa qualité d’electeur d’Empire en dépendait.


Prés de Quintin dans la forest bourlis,

Dans l'Abbaye seront Flamans ranchés :

Les deux puisnais de coups my estourdis,

Suitte oppressée & garde tous achés.


L’Eglise Saint-Quentin


La reconstruction de l’église qui se trouve sur la place du village date de 1835 (ainsi que le rappellent les ancres en fer forgé ). On peut voir l’allure générale de l’édifice antérieur sur les documents anciens, tels que les Albums de Croÿ et la Carte de Ferraris. La tour en moellons, de style gothique précoce, est toutefois plus ancienne et paraît remonter au treizième siècle, bien qu’elle présente des retouches, datant des quinzième et seizième siècles. Au-delà de ce vestige, l’édifice présente une nef de cinq travées sous une même bâtière. Au sud, on remarque une fenêtre gothique présentant une baie en arc brisé à encadrement de très ébrasé vers l’extérieur. Le bois a été largement utilisé dans la construction de la tour. Une date de travaux apparaît sur les troncs de chêne enclavés dans la face intérieure des murs et la structure de la flèche de forme octogonale : 1427. De là, la souplesse du clocher, perceptible à l'oeil nu, qui bouge par grand vent et lui permet d’affronter les tempêtes.


A l'intérieur de l’édifice, un superbe mobilier, le mémorial de Joseph Leleux et un « Christ aux outrages » datant du 16ème siècle. On trouve également des sculptures de Saint Jean-Baptiste et Saint-Roch avec un ange en bois polychromé datant du dix-septième siècle, deux anges adorateurs en bois peint du dix-huitième siècle, un Saint-Quentin polychromé du dix-huitième siècle, ainsi qu’un Christ en croix et un Saint-Roch du dix-neuvième siècle. Le retable de l’autel majeur en chêne avec dorures date du dix-huitièmes siècle et provient de l’Abbaye du Roeulx ; il comporte une mise au tombeau datée de 1867. Les autels latéraux à retables en bois peint blanc et or sont du début du dix-neuvième siècle. La chaire de styles Louivis XV et Louis XVI date également du dix-huitième siècle. Les autre confessionnaux ont été réalisée vers 1872 par Delestrée de Grammont. Le pavement est en pierres noires probablement de Basècles. L’orgue de 1841 a été restauré et amplifié au siècle suivant. Les fonts baptismaux gothiques en pierre datent du quatorzième ou du quinzième siècle.