Le Site de la Croix Philosophe


Le site de la Croix Philosophe


Le  Site de la Croix  Philosophe est l'un des rares points de vue de la région où l'oberservateur peut promener son regard sur 360°.


En regardant vers le nord, on a devant les yeux le paysage dans lequel s'inscrit le Site du Blanc Scourchet, où a été caché « le thrésor qui par long siècles avoit esté grappé ».


Un très vieux saule pleureur a longtemps couvert de son ombre le Site de la Croix Philosophe ; cassé par les orages et brisé par les tempêtes, il a été remplacé par un clone plus récent que les amoureux de l’endroit avaient pris soin de préserver.


Son espèce a été identifiée par le Professeur Jean-Philippe Lahouste comme un saule hybride : Salix x chrysocoma Dode, aussi connu sous le nom de Salix alba var. « vitellina » cv. « pendula ». Un autre exemplaire a été planté près de l’étang situé dans le fond du Site du Blanc Scourchet.


Planté en plein milieu des champs sur le Site de la Croix Philosophe, le saule pleureur est totalement inattendu dans ce lieu ; situé sur le point culminant de l’ancien domaine de l’Abbaye de Cambron, cet arbre remarquable était visible de tous temps de tous côtés ; parce qu’il passait pour porter malheur, le saule pleureur est resté un arbre rare jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle : quiconque en faisait planter dans son parc affichait son esprit progressiste et son mépris pour les superstitions. En réalité, cet arbre était un symbole, c’est-à-dire un signe.


Au Moyen Age, tout est symbole, par la loi des correspondances : toute chose recèle une signification religieuse, tout événement est un message, toute pensée dans l’en-deçà provient de l’au-delà.


Le symbole secret du saule pleureur est simple, car rien n’est aussi bien caché qui ne soit visible pour les yeux de tous : que ceux qui ont des oreilles entendent.


A l’époque des croisades, les gens croyaient que le saule pleureur avait été ramené d’Orient par les Templiers. Peu importe la véracité de cette affirmation : le seul et unique fait historique important est que les gens de l’époque en étaient persuadés jusqu’à la certitude indiscutable. Par référence à la Bible, on appelait cet arbre le Saule de Babylone, car cette ville avait la réputation de se trouver à proximité du Paradis. Sur les rives de cette ville, le saule pleurait sur le péché d’Adam et Eve, qui avaient été expulsés parce qu’ils avaient mangé de l’Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal.  Après leur chute, Dieu avait posté à la porte du Paradis un ange armé d’un glaive de feu. Cet ange se tenait sous le saule. Les Chevaliers de l’Ordre du Temple se reconnaissaient parfaitement dans la figure et dans le rôle de cet ange sentinelle : les Blancs Manteaux constituaient l’armée terrestre de Dieu, c’est-à-dire le reflet fidèle de son armée céleste : « la privée maisnie de Deus » ; ils avaient même leurs anges déchus : les Templiers qui avaient « perdu la Maison ».


Les Templiers opèrent le sacrifice de leur vie pour le service du Christ. Un saule se dit en latin : « salix ». En voyant un saule, n’importe quel moine-soldat pense naturellement, parce qu’on le lui a dit et répété : « Signum Agri Legionis Iesu Xristi », c’est-à-dire le signe du champ de la Légion de Jésus-Christ. Ainsi, l’Attendu sait qu’il est proche de son but.


 

Etymologiquement, la Croix Philosophe, c’est le Carrefour du Sage ; c’est à cet endroit, au croisement des chemins, visible de loin, qu’on se plait à imaginer Yves de Lessines placer un signe, comme un phare guidant la nef du secours, en plantant un arbre : un saule pleureur. C’est là qu’il va méditer et attendre. Son regard dérive du Champ des Nuages jusqu’à la Colline du Paradis, mais il revient sans cesse sur le « clere peyne », le pignon blanc « non trop eslongné du ciel », la-bas, derrière les vignes, de l’autre côté du ruisseau, qu’il appelle le lieu secret ; le petit peuple a vite fait de lui trouver un surnom : le philosophe, qui a survécu dans le nom de son reposoir. L’Attendu sera « le nouveau sophe ». Son attente est souffrance et espérance : il est le dernier et n’aura le droit de parler qu’à un seul, celui que Dieu aura choisi. Aussi écrit-il dans une forme qu’aucun mortel ne pourra déchiffrer, sauf celui dont le destin sera de faire renaître l’Ordre et à qui l’Esprit Saint donnera l’intelligence pour tout comprendre « d’un seul cerveau » et tout accomplir.


Nous avons devant nous – et c'est profondément émouvant – le  paysage historique décrit au 14ème siècle par le prieur vieillissant de l'abbaye de Cambron, qui par-delà le temps et sa mort prochaine, désigne à l'Attendu le lieu du dépôt sacré que les derniers Templiers, confiants dans la bienveillance de Dieu, ont caché dans la terre pour la renaissance future de leur ordre.


C'est assez dire si ce paysage présente une valeur inestimable, qui explique le combat que notre associations contre les promoteurs immobiliers qui pourraient détruire à jamais une perspective unique que 700 ans d'activité humaine ont jusqu'aujourd’hui laissé miraculeusement intact.


Les Centuries indiquent où doit se rendre l’Attendu après la Ferme de Cambroncheau située dans le Hameau du Buis, par le quatrain suivant :


Le camp du temple de la vierge vestale

Non eslongné d'Ethene monts pirennees

Le grand conduit est caché dans la malle

North getez fleuve et vignes mastinees


Un « camp », dans la langue picarde, peut être la fois un camp et un champ.


Dans l'antiquité, les Vestales étaient des jeunes filles vierges chargées de garder et entretenir le feu sacré. Ainsi, la vierge vestale, c'est la gardienne de la flamme sacrée. Tout au long du Moyen-Âge, Saint-Bernard a été représenté couronné d’une abondante chevelure rousse où ses admirateurs voyaient la flamme du Saint-Esprit, le feu sacré par excellence. Les moines cisterciens vouaient un culte tout particulier à Notre-Dame, selon la théologie chrétienne traditionnelle, la Sainte Vierge Marie qui a donné naissance à Jésus le Christ, le petit enfant qui se tient sur ses genoux, c’est la Mère de Dieu. De surcroît, à l’époque d’Yves de Lessines, un culte particulier et un important pèlerinage à Notre-Dame de Cambron ont pris naissance dans ce monastère. Ainsi, la gardienne de la flamme sacrée, c’est la Dame qui protège Saint Bernard et l'Ordre cistercien, dont il a été le principal promoteur.


Dès lors, le champ du temple de la vierge vestale, c’est un champ qui appartient à une église cistercienne ou une abbaye cistercienne, comme l’Abbaye de Cambron.


Le deuxième vers fournit les indications nécessaires pour déterminer sa localisation précise.


Ce texte constitue toutefois l’une des énigmes les mieux construites et les plus subtiles des Centuries. Conformément à ce style littéraire, il s’agit à la fois d’attirer l’attention du chercheur sincère et d’écarter les indésirables curieux, en énonçant une impossibilité manifeste.


Athensis est le nom latin de la Ville d’Ath. Tous les lettrés médiévaux se livraient au jeu des étymologies à la façon d’Isidore de Séville. Il se fiaient toutefois davantage à la ressemblance entre les mots qu’à une filiation attestée, ce qui ne pouvait que donner lieu à des divagations qu’ils poussèrent jusqu’à des résultats surprenants ; pour eux, ressemblance égale parenté, de sorte qu’ils étaient tous convaincus qu’Ath tirait son nom de l’illustre cité grecque, ce qui n’avait rien de surprenant, puisque les Comtes de Hainaut et le Comtes de Flandre exhibaient de superbes généalogies qui démontraient leur descendance directe depuis les héros de la guerre de Troie. Ainsi, dans les registres de pèlerinage de Saint-Pierre de Rome et du Latran ou de Saint-Jacques de Compostelle, l’origine des pélerins athois sont notée : Athensis, Athenis, Athenes et parfois Ethene ou Ethen. Ainsi, Yves de Lessines, en tant que voisin de la Châtellenie d’Ath et en rapport presque quotidien avec l’administration comtale n’ignorait pas le nom exact de la ville caractérisée par trois bras de la Dendre.


Un artiste médiéval ne commet que très rarement une faute évidente par idiotie ou distraction : l’erreur ou la maladresse est normalement toujours un moyen d’indiquer un message caché. Ainsi Yves de Lessines a-t-il intentionnellement écrit « Ethene » dans le même but, pour indiquer qu’il ne s’agit pas de l’Athènes à laquelle tout le monde pense spontanément ; mais, pour découvrir la bonne ville, il faut connaître le nom latin d’Ath, le chef-lieu de la châtellenie du même nom.


En ce qui concerne les monts pirrennees, il faut se référer à la langue picarde. L’orthographe utilisée comporte trois fois une double lettre, trois fois des jumeaux, de la même manière que dans le quatrain concernant Moustier. Ce village ne serait-il pas loin des pirrennees ?


En picard ancien, le pire ou le pîr est un chemin empierré ; dès lors, le pîr rennées est littéralement « le chemin de Renaix » et les monts pîr rennées sont les monts où passent le chemin de Renaix. Il s’agit de la ville qui se situe dans le Comté d’Alost, de l’autre côté de la frontière entre le Comté de Hainaut et le Comté de Flandre. D’autres significations correspondant à la prononciation du picard ancien complètent ce sens premier : « pirrennées » est l’anagramme de « prî renées », c’est-à-dire « près de Renaix » et l’homophone de « pî renées », c’est-à-dire « pied de Renaix », mais le « pîr renées » et le « pî renées » évoquent aussi le « chemin du royaume » et le « pied du royaume » ; or, plus d’une fois, Yves de Lessines désigne l’Ordre du Temple par « le règne », un mot qui, de son temps, signifie aussi le royaume.


Poussant le sens du détail jusqu’à l’extrême, Yves de Lessines écrit « rennées » avec une minuscule. A une exception près, toutes les pirrennées des Centuries désignent la région des collines renaisiennes, mais au Moyen Age comme aujourd’hui, le dénomination n’est pas la même du côté renaisien et flamand que du côté ellezellois et picard. Pour ne rien négliger, le vieux moine donne aussi le nom flamand de la crête des monts parcourus par le chemin de Renaix : le Bronneberg, c’est-à-dire le Mont des Sources. Le Vieil Rentier d’Audenarde témoigne de la francisation des toponymes dans la langue flamande écrite. Dans les Centuries, le Bronneberg est traduit par le « Mont Lebron » dans le quatrain suivant :


Aux chams herbeux d'alein & du Varneigne

Du mont Lebron proche de la Durance

Camp des deux parts conflit sera si aigre

Mesopotamie deffaillira en la France


 

Le lieu qui se nomme aujourd’hui « la Durenne », provenant de « Duranne », que Michel Nostradamus, ignorant les lieux, a erronément transcrit par « Durance », est un grand quartier campagnard qui s’étend le long des deux ruisseaux homonymes coulant aux confins de la Ville de Renaix et du Village de Saint-Sauveur, au pied du Bronneberg, c’est-à-dire des monts parcourus par le chemin de Renaix.


Ath était l’une des places fortes les plus puissantes du Comté de Hainaut, tandis que Renaix était la quatrième ville du Comté de Flandre en raison de l’importance des impôts versés ; à cette époque, le Comté de Flandre était la région la plus riche d’Europe. Yves de Lessines indique dans un même vers un point de repère dans chaque comté, tandis que le domaine de la Ferme de Cambroncheau et le Site du Blanc Scourchet se situent entre les deux, dans les Terres de Débat.


En conséquence, le champ du temple de la vierge vestale est le champ de la ferme de l’Abbaye de Cambron, situé dans le Village de Wodecq, plus précisément dans le Hameau du Buis ; sur les plans cadastraux, cette parcelle particulièrement étendue s’appelle précisément le Champ de la Mère-Dieu , sur lequel est planté le saule pleureur remarquable du Site de la Croix Philosophe. C’est le seul endroit du monde qui soit situé à la fois près d’Ethene et des Monts Pîr Rennées, que le Vieil Rentier d’Audenarde désigne comme « li tere ke li abbés de Camberon a acaté à Waudèke, par l’octroi Monsigneur d’Audenarde », c’est-à-dire la terre que l’abbé de Cambron a achetée à Wodecq avec l’autorisation de Monseigneur d’Audenarde.


De cet endroit, on peut voir l’endroit où « le grand conduit est caché dans la malle ».


Le « conduit » désigne les provisions de route et la sauvegarde, tandis que la malle possède les deux sens de marne et le jabot d’un oiseau ; la malle d’une poule est l’organe où l’animal stocke la nourriture qu’il récolte à toute vitesse, ce qui évoque un ramassage dans la hâte, telle que la collecte des biens précieux de l’Ordre du Temple qu’il convenait de cacher sous le bénéfice d’urgence ; dès lors, on peut comprendre que la grande provision, l’objet de la grande sauvegarde, est caché dans la terre. On notera que la « marne », la « marle » ou la « malle » est une variété de terre qu’on peut trouver dans une « marnière », une « marlière » ou une « mallière » ; un tel lieu d’extraction a donné son nom au Hameau de Marloyaux, mais aussi au « Camp Marni » ou « Camp Marli », la « mallière » dont parle le Veil Rentier d’Audenarde, à proximité du « Camp des Nuées », le Champ des Nuages.


« North », c’est le nord ; l’orthographe avec un « h » traduit l’évolution de la prononciation du mot au Moyen-Age, à savoir l’affaiblissement de la prononciation de la lettre « t », qui devient un simple souffle avant de disparaître complètement comme dans la prononciation actuelle.


En modernisant le texte sans en comprendre le véritable sens, Michel Nostradamus a écrit « getez » pour le mot picard qui se prononce « wété » ou « weti » et signifie « regardez » ; ainsi, en francisant un texte flamand ou picard, on remplaçait les « w » par des « g » ou des « gu ». Ainsi, par exemple, la « warte » devenait la « garde », de la même manière que Dante Alighieri, dans la Divine Comédie, faisait allusion à la grande digue flamande dressé contre la mer entre Wissant et Bruges : « Quale i Fiamminghi tra Guizzante e Bruggia, Temendo il fiotto che in ver lor s’avventa, Fanno lo schermo, perchè il mar si fuggia ».


Un « fleuve », en latin comme en français ou en picard, désigne d’une manière générale un cours d’eau, sans considération pour sa largeur ou son débit ; le mot dérive du verbe latin « fluere » : couler ; c’est de l’eau qui coule ; l’emploi de ce mot vient tout naturellement sous la plume d’un moine qui utilise couramment le latin ; de plus, il annonce le mot « rosne », qu’on retrouvera plus loin dans un autre quatrain décrivant le Chemin de l’Attendu.


« Des vignes matinées », ce sont des vignes mélangées, c’est-à-dire plantées parmi d’autres cultures. Le champ qui recouvre le versant sud du Hameau de la Pierre, à gauche de l’antique chaussée s’appelait le Champ de la Vigne, qui se dit en picard : « el kan delvign »


En même temps, «  matinées » évoquent l’office des matines, au cours duquel les moines chantent, au plus profond de la nuit, l’espérance de la venue du jour, de sorte qu’il faut comprendre que l’espérance réside sur le lieu vers lequel Yves de Lessines demande de regarder : au nord, regardez le cours d’eau et les vignes mélangées.


Derrière cette grande parcelle de terre, en plein milieu du paysage, se situe la propriété qui se nomme en picard le Blanc Scourchet, ce qui signifie en français actuel : le petit abri blanc.


En regardant dans la direction du Hameau de la Pierre, en haut de la côte que gravit l’antique chaussée, on distingue nettement le pignon du petit abri blanc, qui est évoqué par ce quatrain :


Le lys Daussois portera dans Nansi

Jusques en Flandres Electeur de l'Empire

Neuve obturée au grand Montmorency

Hors lieux prouves delivre à clere peyne


« Prouver », c’est essayer, goûter, ou encore démontrer, faire la preuve, ou enfin éprouver, soumettre à l’épreuve. « Déliver », c’est libérer et remettre une marchandise. « Clere », c’est clair, selon l’orthographe médiévale à l’époque d’Yves de Lessines. « Peyne » est une forme de « pene » ou « pegne », qui évoque notre mot actuel « pignon ». Les significations complémentaires de ce dernier vers indiquent : en dehors des endroits connus ou en dehors des lieux soumis à l’épreuve, recouvre la liberté au pignon clair ou remis au pignon clair. Il s’agit, d’une part, du Royaume de France, où les Templiers ont été emprisonnés, torturés et tué, et, d’autre part, du trésor livré.


A condition de savoir de quoi il s’agit, le « clere peyne » évoque un bâtiment blanc, ou, en tous cas, un bâtiment comportant un pignon blanc nettement visible, ce qui correspond à un « blanc scourchet ». Dans la langue picarde, un « scou », c’est un abri, un lieu de secours, et un « scourchet », c’est un petit abri, un petit endroit de protection. Le mot a pris différentes acceptions figurées, par exemple, un manteau de voyage pour se protéger des intempéries, ou un vêtement de travail, pour se protéger de la sâleté, mais, selon Rudy Cambier, le blanc scourchet est un bâtiment : le petit abri blanc. Rien d’autre.


En définitive, aujourd’hui comme jadis, un trésor, c’est un ensemble de choses de valeur (de l’or, de l’argent, des objets précieux, des pierreries, des documents, des titres, de reliques, …) accumulées et souvent soigneusement cachés.


Toujours en regardant dans la direction du Hameau de la Pierre, on peut suivre, dans le creux de la vallée, tout le cours du Ruisseau du Ronsart, depuis sa source dans le Bois de La Hamaide, jusqu’à son confluent avec le Minebèque (le Ruisseau du Tordoir), où leur réunion forme une rivière : l’Ancre.


Ainsi est-il évident que le Site du Blanc Scourchet se trouve à la fois près de l’extrémité et de du début de ce cours d’eau, qui est évoqué par ce quatrain :


Flambeau ardant au ciel sera veu,

Près de la fin et principe du Rosne,

Famine, glaive, tard le secours pourveu,

La Perse tourne envahit Macédoine.


Tout l’art de l’énigme consiste en particulier à  révéler des choses cachées par le moyen d’énoncé étranges et d’associations impossibles sur le plan de la logique rationnelle, mais qui sont destinées à attiser la sagacité du lecteur, s’il est animé par un vrai désir plutôt que par une vaine curiosité.


Aussi s’avère-t-il impossible de se trouver à la fois près de la source et du delta du Rhone, plus de 800 kilomètres séparant son origine, près du Col de la Furka dans les montagnes du Valais Suisse et la Plaine de Camargue, où il rejoint la Mer Méditerrannée.


Pourtant, la solution de ce problème est scandaleusement simple pour n’importe quel habitant des Terres de Débat : le Rosne n’est pas le Rhône, mais provient de l’expression le « Rone Sart », c’est-à-dire le Sart du Rône. Le mot « rône » provient du terme gaulois « rodena », qui signifie simplement : « cours d’eau » ; c’est donc l’hydronyme le plus courant chez nos ancêtres. Des rosne, il s’en trouve partout. Un sart n’est rien d’autre qu’un lieu défriché, de sorte que le ruisseau dans son entier a pris le nom d’un endroit particulier de sa vallée où il traverse un tel terrain. C’est de la même manière que le Minebèque a été appelé le Ruisseau du Tordoir, parce qu’un moulin à huile avait été installé sur sa rive. En agriculture traditionnelle, « sarter » ou « essarter » consistait à brûler les branches des arbres et le sous-bois pour livrer un taillis à la culture durant quatre ou cinq ans, avant de rendre le terrain à la forêt pendant une vingtaine d'années. Le terme apparaît au début du douzième siècle, dans le sens de labourer et défricher une terre, notamment dans le Roman de Renart : « La terre est de novel sartée ».


La Carte de Ferraris montre que, peu après ses deux sources, en sortant du Bois de La Hamaide, le ruisseau traverse le Hameau du Ronsart, qui s’inscrit nettement au creux d’un vallon défriché amputé sur la zone boisée adjacente.


Vu du Site de la Croix Philosophe, le Ronsart traverse tout le paysage sur une distance d’environ trois kilomètres, croisant l’antique chaussée, au bas de la côte qui, venant du Royaume de France et, plus prochainement, du Mont de Mainvault, mène vers le Hameau de la Pierre, où la Carte de Ferraris montre un passage à gué, selon le mode le plus répandu de franchissement des cours d’eau.


 

Ainsi est-il plus confortable de voyager à cheval ou sur un chariot ; pour la commodité des itinérants pédestres, une planche avait été installée avant la construction moderne d’un pont, car dans les temps anciens, un pont était toujours un luxe ; ils ne se trouvaient que sur les axes de communication les plus importants ou lorsqu’un passage à gué s’avérait impossible.


En picard ancien, « une aise » signifie une planche ; de ce mot provient le toponyme ancien, de même que le nom de l’importante ferme qui s’y trouve et qu’on peut apercevoir à partir du Carrefour de la Pierre : Anaise, selon la prononciation picarde populaire typique de ce qui devrait s’écrire : à Aise, le lieu-dit tiré de l’ancien mot picard pour dire Planche. Il en existe d’ailleurs un autre, qui s’appelle quant à lui « La Planche » ; il est situé un peu plus loin vers le nord sur la même chaussée antique, où il fallait franchir un ruisselet prenant sa source sur la colline du Hameau du Paradis. Le français moderne n’a gardé du terme « aise » que sa forme masculin pluriel : un ais désigne une planche de bois ; le mot est souvent suivi d'un déterminant indiquant la matière ou l'usage qui en est fait ; lorsque « ais » s'oppose à « planche », il désigne une surface moins large.


Après l’ancienne aise, le Ronsart se profile vers le Hameau d’Haillemont, avant de contourne le centre du Village de Wodecq. Pour éviter d’utiliser le terme « bouche » pour « embouche », comme dans « Les Bouches-du-Rhône » et empêcher dans le cerveau de l’Attendu la confusion avec le grand fleuve dont il s’est servi pour éloigner les indésirables, Yves de Lessines dit « la fin … du Rosne ».


Non seulement situé « près » du début et de la fin du Rosne, le Site du Blanc Sourchet se trouve également « non éloigné » d’Athènes et des Monts Pyrénées, évoqués dans le quatrain suivant, qui a déjà été commenté :


Le camp du temple de la vierge vestale

Non eslongne d'Ethene monts pirrennees

Le grand conduit est cache dans la malle

North getez fleuve et vignes matinees


Pour souligner la subtilité de l’emploi des mots, « Près » du Ronsart correspond à une distance d’environ 600 mètres, tandis que « non éloigné » correspond à une distance d’environ 8 kilomètres pour la Ville d’Ath et d’environ 6 kilomètres pour les Monts traversés par le Pire de Renaix.


Du Site de la Croix-Philosophe part un chemin creux qui descend vers la gauche ; regardant un peu plus à gauche, on verra un rideau d’arbres plantés en contrebas, dont le feuillage dissimule le Champ des Nuages, dont il est question dans le quatrain suivant :


Par les sueves et lieux circonvoisins

Seront en guerre pour cause des nuées

Camps marins locustes et cousins,

Du Leman fautes seront bien desnuées.


A l’époque d’Yves de Lessines, les Suèves n’étaient plus l’antique peuplade barbare d’Arioviste, qui fut célèbre à cause de ses démêlés avec Jules César au cours de la Guerre des Gaules ; c’étaient les habitants du Duché de Souabe, la terre patrimoniale de la Famille de Hohenstauffen, et, dès lors, de son dernier représentant, Frédéric II, qui régna sur l’Empire Romain Germanique de 1220 à 1250, après avoir été élu Roi des Romains en 1211 et Roi de Germanie et d'Italie en 1212, mais aussi Roi de Sicile depuis 1197 et Roi de Jérusalem à partir de 1229, dont il est question dans le quatrain suivant :


Un Empereur naistra pres d'Italie

Qui à l'Empire sera vendu bien cher

Diront avec quels gens il se ralie

Qu'on trouvera moins Prince que boucher.


De retour dans son Royaume de Sicile après ses mésaventures en Terre Sainte, d’où les Templiers avaient permis sa fuite, il remercia ce derniers à sa façon en lançant contre eux une campagne de calomnies dont les entreprises de Philippe le Bel seront la copie, puis il fera procéder à leur arrestation et saisir leurs biens dans ses états, de sorte que l’Ordre du Temple retint la leçon.


Ainsi peut-on comprendre le dispositif secret de sauvegarde préparé après cette expérience malheureuse et appliqué lorsque les Templiers furent avertis des manœuvres funestes de Philippe le Bel. Sans doute est-ce la source de l’épopée des trois triumvirs que furent Henri Plusquiel, Visiteur de Flandre à partir de 1302, son frère, Jacques Plusquiel, abbé de Cambron à partir de 1293 sous le nom de Jacques de Montignies, et Yves de Lessines, prieur de Cambron à partir de 1315.


Tirant un enseignement utile de ce malheureux épisode sicilien, l’Ordre du Temple s’est donné les moyens de faire face au retour de telles calamité et que la décision d’enclencher un mécanisme de sauvegarde ne dépendrait pas de la hiérarchie officielle, particulièrement en vue et beaucoup trop vulnérable, mais d’un personnage ignoré de tous et occupant un poste qui n’attirait pas spécialement les regards. Un tel dispositif est également de nature à faire échec à toute tentative d’espionnage interne, puisqu’il repose sur les décisions d’un homme dont tout le monde sait qu’il veille, mais dont tout le monde ignore l’identité, et c’est par un signe que tout le monde connaît qu’il se fera reconnaître en cas de nécessité.


C’est le signe que l’Attendu retrouvera sur le Site du Blanc Scourchet, qui n’est jamais désigné directement, mais seulement indiqué par un chemin. Yves de Lessines évoque ce signe de reconnaissance dans le quatrain suivant :


Dessoubz de chaine Guien du Ciel frappe,

Non loing de la est caché le tresor,

Qui par longs siecles avoit este grappé,

Trouve moura : l’œil crevé de ressort.


A l’époque d’Yves de Lessines, les suèves étaient aussi les habitants d’un territoire plus réduit. Les Terres de Débat sont situées au sud du Comté d’Alost, et ses habitants sont les suèves, sans majuscule. Or, le Champ des Nuages se trouve à l’extrémité sud des Terres de Débat ; il est accolé à la frontière entre la Flandre et le Hainaut. Dès lors, on peut comprendre que dans le sud et aux alentours, ils ont fait la guerre pour le Champ des Nuages. Comment exprimer plus adroitement le caractère dérisoire de cette guerre entre les deux comté pour la possession que sept paroisses ?


De plus, le Champ des Nuages se trouve dans le Village de Wodecq, dont le Comte de Flandre, Gui de Dampierre a fait l’acquisition en 1280. Bref, il se trouvant dans le Pays Guien, tout comme le Chêne du Ciel frappé.


Sur la Carte de Ferraris, comme sur les plan cadastraux, on peut identifier sans peine la localisation du Champ des Nuages, accolé à la frontière entre les Terres de Lessines et de Flobecq et la Châtellenie d’Ath, marquée par un trait pointillé ; il se situe au-dessus du Hameau du Bas Pré; il est délimité par  la Chaussée Brunehaut et par le Ronsart. A côté côté se trouve une marlière, le Champ Marni, où l’on pouvait récolter de la marne.


La transcription du manuscrit original en « camps marins » résulte d’une erreur de lecture de Michel Nostradamus ; en écriture cursive, il est toutefois difficile de distinguer « camps marins » et « camps marnis », qu’Yves de Lessines a certainement écrit, mais que le médecin provençal ne pouvait pas connaître. Les « camps marnis » ou « camps marlis », car les deux formes s’emploient indifféremment, sont les champs où on trouve de la « marne », ou « marle » ou « malle » ; le Viel Rentier d’Audenarde confirme cette dénomination et leur localisation près du Champ des Nuages, à propos d’un certain Adans li Fèvres, qui possède un demi bonnier et un demi journel de terre « as Mallières au Noage ». A l’instar d’Yves de Lessines, le scribe de Jean d’Audenarde note un pluriel.


La « locuste » ou « laouste » est la sauterelle ou le crique, qu’on retrouve dans les documents cadastraux et le Vieil Rentier d’Audenarde pour désigner le « Camp du Crikyon », c’est-à-dire le Champ du Grillon et la « Marlîre Criquette », c’est-à-dire la Marlière de la Sauterelle. Yves de Lessines note « locustes » au pluriel, conformément à la pluralité des parcelles.


Un « cous », un « cousen » ou un « cousin » ne désigne ni un membre de la famille, ni un moustique ou, en picard, « un picron » ; l’équivalence des termes écrits s’explique par l’absence de nasalisation du « et »  ou du « i » : la prononciation donnait un « i impur », dérivant entre le « i » et le « è », suivi par la consonne nasale prononcée distinctement, de sorte qu’on ne disait pas « in » (comme, par exemple, dans malin à l’heure actuelle) ; le « ou » était à l’époque une vraie diphtongue qui se prononçait comme un « o » très fermé suivi d’un digamma, c’est-à-dire « w » ; en réalité, il s’agit d’un fief tenu en communauté, ce qui était le cas à l’époque d’Yves de Lessines pour un morceau de terre visible depuis le Site de la Croix Philosophe et qui s’appelle encore de nos jours « Commont » ou « Comont », prononcé « Cômont », qui constitue une évolution phonétique normale du syntagme qui s’écrit « cous mont » et qui se prononçait de la manière indiquée.


Pour repérer ces fief communs ou indivis dans le Viel Rentier d’Audenarde, on recherchera l’indication de plusieurs tenanciers pour une même superficie de terre, avec l’indication de la redevance due par chacun et le total des redevances pour toute la pièce.


Ainsi, pour situer le lieu du trésor templier, Yves de Lessines ne dessine pas une carte : c’aurait été mettre ces biens à la disposition du premier crétin venu ; il dissémine dans son long poème un grand nombre d’énigmes et d’allusions qui permettent d’identifier des lieux précis, de manière à situer progressivement, mais indirectement, le lieu du dépôt précieux dont il a contribué à assurer la sauvegarde, sans toutefois le nommer.


Se trouvent ainsi concentrés sur un minuscule morceaux des Terres de Débat un ensemble de toponymes voisins et visibles d’un même endroit. Sur une distance d’à peine sept kilomètres s’accumulent ainsi une vingtaine de noms de lieux précis et confortés par des détails matériels pertinents, ce qui constitue une sécurité statistique largement suffisante.


Une autre histoire se raconte sur le Site de la Croix Philosophe, dont la véracité n’a guère pu être vérifiée et qui semble comporter quelques variantes. Il y a plusieurs dizaines d’années, le censier de la ferme de Pucemaigne était un certain Anrys ; un jour de fort orage, il se retrouva coincé à cet endroit avec ses chevaux ; il ne trouva rien de mieux que de s’abriter sous l’arbre, mais il promit d’ériger une croix, s’il ne lui arrivait rien. L’arbre fut frappé par la foudre, mais il rentra sain et sauf, éperdu de bonheur et de frousse ; il tint parole. Ainsi fut érigé l’ex-voto campagnard qui s’élève toujours à la croisée des chemins.