Série 2 : Saint-Waast-la-Vallée


Deuxième série

Saint-Waast-la-Vallée

Bavay

La Forêt de Mormal


VII.27

Au cainct de Vast la grand cavalerie (1)
Proche à Ferragge, empeschée au bagage (2)
Prompt à Turin feront tel volerie (3)
Que dans le fort raviront leur hostage (4)


Ce quatrain évoque à la fois Saint-Waast-la-Vallée, la Forêt de Mormal et Bermeries.

L'interprétation de Nicole Deligne est la suivante :


Vers 1


Au cainct de Vast

A Saint-Waast-la-Vallée, la chaussée romaine venant de Bavay délimite une parcelle en forme de “coin”, à l'endroit où elle se subdivise en deux tronçons distincts :

  • une première voie se dirige Wargnies-le-Petit; à partir de cette localité, la route actuelle prend le nom de “Chaussée Brunehaut” en direction vers Villers-Saint-Pol. Son tracé rectiligne rejoint Cambrai;
  • une seconde voie se dirige vers la Flamangrie; elle traversait autrefois le Bois de Roisin, qu'indique encore la toponymie à proximité du lieu-dit “La Perche Rompue”; elle se dirige vers Sebourg, où son tracé ancien se perd, puis vers Escautpont, où elle franchit l'Escaut avant de traverser la Forêt de Raismes jusqu'à Château-l'Abbaye, où elle franchit la Scarpe; ensuite, depuis Thun-Saint-Amand, elle se dirige vers Tournai. Sur la Commune de Brunehaut, elle traverse le lieu-dit “Les Six-Chemins”, où se trouve la Pierre Brunehaut.

Cette caractéristique est particulièrement discrimante pour ces deux des sept chaussées, car le point de départ des cinq autres se situe dans la Ville de Bavay. Autrement dit, c'est la seule des sept chaussées qui se subdivise en deux voies distinctes, et ce, après l'église de Saint-Waast-la-Vallée.


Cainct

Le mot peut constituer une mélecture nostradamique; dans ce cas, il pourrait se lire et se dire “sainct” ou “ceinct”; ces orthographes sont courantes au 16ème siècle; en fonction de la disposition des deux voies romaines, il peut également se lire "coin" ou "coing", comme dans le quatrain IX.65 : "Dedans le coing de Luna" (Voir la Série 9).


Vast

Saint-Waast-la-Vallée

La Ferme de Cambron et la Chapelle de Cambron sont situées sur le chemin de Bermeries à Saint Waast-la-Vallée. C'est la Vallée de l'Hourdeau, située en contrebas de chaussée romaine,  qui est à l'origine de la dénomination actuelle du village.


La grand cavalerie

Sens textuel : L'expression désigne une horde de chevaux ou une troupe de cavaliers.

Sens historique : Un groupe de chevaliers de l'Ordre du Temple parcourant les routes sur leurs chevaux.

Sens toponymique : L'expression indique le lieu-dit : “Le Cheval Blanc”, sur la Commune de Gommegnies.


Grand

Dans la langue médiévale, “grand” est un adjectif invariable parce qu'il conserve la même forme au masculin et au fémin quand il est utilisé dans une expression occupant la fonction grammaticale du sujet de la phrase. Cet usage avait disparu au 16ème siècle, ce qui est un indice de l'ancienneté du texte par rapport à Michel Nostradamus, qui a été contraint de conserver la grammaire ancienne en raison du nombre de pieds invariable pour chaque vers. Transcrire “la grande cavalerie” aurait impliqué un pied en plus et en trop.


Vers 2


Proche

dans le sens actuel : à proximité de


à Ferragge

Le mot comporte une majuscule sans raison apparente, ce qui est un indice textuel qui doit éveiller l'attention visuelle du lecteur.

Le mot évoque à la fois le ferrage des chevaux et Ferrand de Portugal, le premier époux de la Comtesse de Flandre et de Hainaut, Jeanne de Constantinople. Leur mariage avait été célébré en 1212. Après une longue captivité suite à sa défaite lors de la Bataille de Bouvines, Ferrand de Portugal est libéré en 1227. Il meurt à Noyon le 27 janvier 1233 de la maladie de la pierre, dont il souffrait depuis sa détention. Jeanne de Constantinople et Ferrand de Portugal avait établi un élevage de chevaux dans la Forêt de Mormal. Les chevaux paissent en liberté dans les grandes prairie situées au centre du massif boisé, c'est-à-dire, actuellement, le Village de Locquignol.


Empeschée

interdite, rendue impossible


au bagage

à Bagacum

Sens topologique : Bagacum est la dénomination latine de Bavay.


A l'époque romaine, cette ville constituait un noyau de développement urbain particulièrement important.


Capitale de la Cité de Nerviens depuis la conquête de leur territoire au 1er siècle de notre ère et la réorganisation de l'Empire romain par Auguste, Bagacum avait été dotée d'un forum de taille gigantesque, en comparaison des autres villes. En effet, avec ses 2,5 hectares, c'était l’un des plus grands de tout l’Empire romain. Véritable cœur de la cité, le forum romain concentrait les activités politiques, judiciaires et religieuses. Avec son plan presque complet, le site archéologique donnte un exemple remarquable de forum tripartite, avec :

  • une esplanade centrale bordée de portiques;
  • une basilique, qui constituait le centre politique et judiciaire de la ville; c'est l’une des plus vastes de l’Empire romain, avec celles d'Ostie et de Carthage;
  • un temple, au centre de l’aire sacrée, qui était consacré aux activités religieuses, dont les fondations semi-souterraines, le cryptoportique, sont particulièrement bien conservées, avec leurs matériaux d'origine, puisque ses arcades s'élèvent encore aujourd'hui à plus de 4 mètres.


Bagacum était également un important nœud de voies de communication, puisque 7 chaussées romaines distinctes trouvaient à la fois leur origine et  leur aboutissement sur son forum. La plus importante reliait Boulogne-sur-Mer à Cologne. Cet emplacement stratégique permettait un développement économique et social considérable. A la fin du 3ème siècle de notre ère, la ville doit faire face à la menace des barbares. Dès lors, elle est dotée de fortifications implantées autour du forum, qui constituent encore de nos jours l'élément le plus imposant du site archéologique, avec leurs 8 mètres de hauteur.


Proche à Ferrage et empêchée au Bagage

Passer à proximité des activités d'élevage de chevaux dans la Forêt de Mormal et ne pas passer par Bavay ou ne pas aller jusqu'à Bavay


Vers 3


Prompt : rapide


à Turin

Sens historique : Thomas de Savoie, le second époux de Jeanne

En 1237, Jeanne de Constantinople épouse, en secondes noces, Thomas II de Savoie (1199-1259), qui était le fils du Comte de Savoie, Thomas Ier (1178-1233) et de Béatrice Marguerite de Genève (†1257), et surtout oncle de la reine Marguerite de Provence, épouse de Louis IX. Il était le Comte de Maurienne (1233-1259), puis il devint le Comte Piémont (1245-1259), dont la capitale était Turin. Pour ce remariage, Jeanne de Constantinople est contrainte de renouveler son serment de fidélité envers le Roi de France et de payer 30.000 livres. Lors de la mort de Jeanne de Constantinople, l'abbaye de Marquette, près de Lille, le 5 décembre 1244, sa sœur Marguerite de Constantinople lui succède, tandis que Thomas de Savoie retourne dans son comté. Le tombeau de Jeanne de Constantinople a été redécouvert en 2005 sur le site de l'Abbaye de Marquette, mais les fouilles menées en 2007 ont montré que son corps ne se trouvait pas dans cette sépulture.


feront tel volerie

Sens textuel : Le mot évoque les oiseaux

Sens historique : En plus de l'élevage de chevaux dans la Forêt de Mormal, Jeanne de Constantinople et Ferrand de Portugal marquent un grand intérêt pour le gibier à poil et à plumes. La chasse n'est-elle pas, par excellence, le loisir des nobles ? Pratiquée sans leur autorisation expresse, la même activité constitue le braconnage, qui est sévèrement réprimé par le droit féodal.

Sens toponymique : Le lieu-dit “Le Coucou", situé au centre de la Forêt de Mormal, dans le prolongement de la Route forestière du Cheval Blanc et du lieu-dit portant le même nom, sur la Commune de Gommegnies. Cet oiseau n'est-il pas l'hôte le plus remarquable d'un zone boisée ?

Dès lors, le mot indique la Forêt de Mormal dans son ensemble, qui est traversée par l'ancienne chaussée romaine entre Bavay et Vermand, à proximité de Saint-Quentin.


Vers 4


Dans le fort

Sens textuel : Le mot indique une fortitication.

Sens historique : Le mot évoque le Château du Louvre, à Paris, où Ferrand de Portugal a été retenu comme un ôtage.

Sens topograpique : Le mot désigne la "Tour aux bois" ou "Tour Sarrazin"e, située à Saint Waast-la-Vallée, et, dès lors, à proximité du "coing de Vast". C'était une fortification importante dans cette région à cette époque, puisqu'elle servait à garder la frontière du Comté de Hainaut, toute proche de la Ferme de Cambron. Dans le même contexte, il désigne la Chapelle Notre-Dame de la Tour, qui est située à Bermeries, en face de la Ferme de Cambron.


raviront : arriveront


leur hostage
Sens textuel : Le mot évoque un hôtel, une hôtellerie ou un hébergement. Un hôte est une personne qui reçoit ou qui accueille d'autres personnes en tant d'invités, aussi bien qu'une personne qui est reçues en tant qu’invité. L'hostage signifie le fait d'héberger ou d'être hébergé. Le pronom possessif désigne les Templiers qui viennent se réfugier à la Ferme de Cambron lors de leur passage.

Sens historique : Le mot évoque Ferrand de Portugal, en raison de sa captivité après la Bataille de Bouvines, en 1214. Enchaîné, il est transporté en cage jusqu'à Paris, puis il est enfermé dans les cachots du Château du Louvre jusqu'à sa libération, en 1227. Stratagème ou volonté réelle de tourner la page, Jeanne de Constantinople se laisse courtiser par le Duc de Bretagne, Pierre Mauclerc, qui est devenu veuf depuis peu. Elle donne son accord pour tenter d'obtenir l'annulation de son mariage par le Pape, Honorius III, pour cause de consanguinité. Ce dernier accède à cette demande. Cependant, le Roi de France, Louis VIII, refuse son autorisation pour le remariage du Duc de Bretagne avec la Comtesse de Flandre et de Hainaut : avec un tel territoire, le Royaume de France aurait été pris en tenaille. Pour éviter cette situation dangereuse, Louis VIII obtient une autorisation papale pour le remariage de Jeanne de Constantinople et de Ferrand de Portugal, qu'il oblige à souscrire le Traité de Melun. De plus, il impose une rançon pour la libération de Ferrand de Portugal, qui est fixée à 50.000 livres parisis payables en deux versements.

Sens toponymique : Le mot évoque la Ferme de Cambron, située à Bermeries, qui a pu servir de refuge pour les Templiers.


Conclusion


Sur le plan toponymique, l'ensemble du quatrain évoque la Forêt de Mormal et le chemin qui a été suivi par les Templiers.


En traversant la Forêt de Mormal, les chevaliers passent à proximité de la volerie, c'est-à-àdire l'élevage d'oiseaux, qui est évoqué de nos jours par le lieu-dit "Le Coucou". Ensuite, ils empruntent le chemin forestier qui conduit au lieu-dit "Le Cheval Blanc", qui évoque de nos jours l'élevage de chevaux, situé entre Gommegnies et Amfroitpret, sous la dénomination actuelle de "Rue du Cheval Blanc", après avoir franchi la chaussée romaine, qui porte la dénomination de "Chaussée Brunehaut", sans doute depuis le Moyen Age, en raison des légendes expliquant les prouesses que représentait, à cette époque, la construction de toutes les routes du même type (D932).


Après Amfroitpret, l'itinéraire rejoint Bermeries, où se trouve la Ferme de Cambron, avec sa gigantesque grange dîmière. En face se situe la Chapelle Notre-Dame de la Tour. La statue conservée à l'intérieur représente Notre-Dame aux Raisins.


Au coin de la propriété, il est possible de prendre le sentier qui se dirige vers Saint-Waast-la-Vallée, où l'itinéraire rejoint la chaussée romaine de Bavay Boulogne-sur-Mer, qui passe notamment par La Flamengrie, Roisin , Bry, Eth, Sebourg, Onnaing, Escaupont, Maulde, Brunehaut (Espain, Bléharies et Hollain), Tournai et Templeuve, puis par Cassel.


Il est toutefois plus probable que les Templiers aient suivi le cours du Ruisseau de Cambron, qui passe près de la Ferme de Cambron, pour aller rejoindre cette route en passant par le Hameau de Le May, dans le but de contourner le centre du Village de Saint-Waast-la-Vallée, de manière à rejoindre, de la manière la plus directe et la plus discrète, la chaussée romaine vers le passage de l'Escaut et la traversée de la Forêt de Raismes.