Série 10 : Saint-Léger


Dixième série

Saint-Léger


III.61
La grande bande & secte crucigere (1)
Se dressera en Mesopotamie (2)
Du proche fleuue compaignie legiere (3)
Que telle loy tiendra pour ennemie (4)


Vers 1


La grande bande & secte crucigere
La Milice des Pauvres Soldats du Christ, c'est-à-dire l'Ordre du Temple


La grande bande :

Cette expression évoque l'importance numérique des membres de l'Ordre du Temple.


Secte :

D'un point de vue étymologique, le terme « secte » vient du latin « secta », qui signifie la voie que l'on suit, le parti, la cause ou la doctrine à laquelle on adhère. Parfois, on invoque une autre étymologie latine : « secte » viendrait de « secare », qui signfier « couper », ce qui désignerait un petit groupe qui se retranche d'un ensemble plus vaste. C'est exactement la situation de l'Ordre du Temple, qui bénéfice d'une statution tout à fait unique au sein de la Chrétienté : il bénéficie d'une autonomie totale et ne dépend d'aucune autre autorité religieuse que le Pape, de même qu'il échappe à tout pouvoir civil.


C'est précisément ce qu'évoque le quatrain suivant :


I.81
D'humain troupeau neuf seront mis à part
De jugement et conseil separés
Leur sort sera divisé en depart
Kappa, Qhita, Lambda mors bannis esgarés.


Ce texte évoque à la fois la création, l'évolution et la fin de l'Ordre du Temple. Fondé par neuf chevaliers, qui ont été ses premiers membres, à tout le moins sur le plan symbolique, qui ont été mis à part en bénéficiant d'un statut spécial, déterminé par une règle, il permet à ses membres d'échapper à toutes les juridictions politiques et ecclésiastiques, d'où leur séparation. Organisé en une partie orientale, implantée sur la Terre Sainte, et une partie occidentale, qui possédait d'innombrables domaines sur le continent européen, ils ont été tués ou bannis ou ils se sont perdus à travers le monde. Les trois lettres grecques sont les premières de trois mots désignant l'Ordre du Temple dans sa dénomination originelle : Kyrios Théou Legiôn, c'est-à-dire la Légion du Seigneur Dieu.


Portant la croix :

La croix était le signe distinctif des membres de l'Orde du Temple, quelle que soit leur statut et, dès lors, la couleur de leurs vêtements. Il s'agissait d'une croix rouge.


Vers 2


Se dressera en Mesopotamie :
Sens etymologique : de "mesos", qui signifie "milieu" et "potamos" qui signifie "fleuve", ce qui désigne n'importe quel cours d'eau.

Les propriétés de la Maison de Saint-Léger se situent entre l'Escaut et l'Espierre


Vers 3


Du proche fleuue compaignie legiere :
La Maison de Saint-Léger est construite à proximité de l'Espierre et occupée par une communauté templière dont les membre mangent le même pain, qui constitue la base de l'alimentation quotidienne et qu'ils partagent à chaque repas, ce qu'indique l'origine éthymologique du mot "compagnon", du latin "cum", qui signifie "avec" et "panem", qui signifie "pain". La Maison de Saint Léger est la fille de la Maison d'Ypres, qui était la première fondation templière sur le continent européen.


Vers 4


Que telle loy tiendra pour ennemie

La loi de Philippe Le Bel a considéré les Templiers comme ses ennemis.


X.38

Amour alegre non loing pose le siege (1)

Au sainct barbar seront les garnisons (2)

Ursins Hadrie pour Galois feront plaige (3)

Pour peur rendus de l'armee du Grisons (4)


sainct alegre : Saint Léger


barbar : Saint-Léger est d'origine germanique


non loing posé le siègeSaint Léger a été assiégé dans son siège épicopal


pour Galois feront plaigeSaint Léger a défendu la cause des populations gauloises et mis fin à leur esclavage par les tribus germaniques


Francisation du prénom germanique "Leudgari", de « leud » (peuple, gens) et « gari » (lance), Léger se dit "Leodegarius" en latin et "Léodegard" en français. Saint Léger d'Autun est né vers 616 et mort en 678 ou 679. Issu d'une famille germanique noble et riche installée en Austrasie, sur les bords du Rhin, il est lié aux villes de Poitiers, où il a reçu sa formation auprès de son oncle, Didon, qui était l'évêque de cette ville, et où se trouvent ses reliques, et d'Autun dont il a été l'évêque entre 657 et 665, ainsi qu'à la région de Fécamp, mais aussi à Doullens, où il est mort. il a joué un rôle politique important lors du règne des derniers rois mérovingienne, à la demande de Bathilde, veuve de Clovis II, à la fois en tant que précepteur des trois enfants royaux, qui deviendront Clotaire IIIChildéric II et Théodoric III, et comme chargé de responsabilités administratives par la reine régente. Ainsi a-t-il notamment fait ainsi abolir l'esclavage des populations gauloises. A la mort de Clotaire III, en 673, dont il était le conseiller, la succession royale est disputée entre ses deux frères, Thierry et Childeric. Léodegard soutient Childeric contre Théodoric, dont le principal conseiller est Ebroïn. Childeric destitue son frère, qui est relégué dans un monastère. Principal conseiller du roi, Léodegard défend les pouvoirs régionaux et ecclésiastiques, ce qui entraîne d'autant plus rapidement sa disgrâce que Childeric est agacé par ses reproches à propos de son mariage avec sa trop proche parente. Léodegard est à son tour envoyé en exil dans l'Abbaye de Luxeuil. Childeric est assassiné en 675 et Théodoric revient au pouvoir. Léodegard se rallie à lui, mais son conflit avec Ebroïn perdure. Ce dernier soutient cette fois un autre prétendant pour le trône : Clovis. L'opposition politique se transforme en guerre ouverte et Léodegard est assiégé par les troupes d'Ebroïn, en 676, dans son siège épiscopal. Ne disposant pas de forces suffisantes pour sa défense, Léodegard se rend pour épargner la ville et ses habitants. Son adversaire lui fait arracher les yeux, les lèvres et la langue. Selon la tradition, il survit à ses blessures et à la faim durant neuf jours dans la forêt, près de la Pierre de Couhard, avant d'être retrouvé par ses proches et d'être recueilli dans l'Abbaye de Fécamp pendant deux ans. Ebroïn, s'est rallié à Theodoric. Devenu le nouveau maire du palais, il décide de faire mettre à mort Leodegard, dont l'influence présente un danger pour le pouvoir royal. Ainsi aurait-il été  assassiné dans la Forêt d'Yveline ou dans la Forêt de Lucheux, où il a été décapité. Un concile épicopal a proclamé sa sanctification en 681. Sa fête est célèbrée le 2 octobre.


Ursinus 

Moine de l'Abbaye Saint-Martin de Ligugé qui était universellement connu pour son histoire de la vie de Saint Léger d'Autun, il est souvent associé à Defensor, dont il était le précepteur. Defensor est l'auteur du "Liber Scintillarum", connu comme le « Livre d’Étincelles », qui est un florilège d’extraits de la Bible et des oeuvres des pères de l’Église, composé autour de 700.


III.89

En ce temps là sera frustree Cypres (1)

De son secours de ceux de mer Egee (2)

Vieux trucidez, mais par mesles et lyphres (3)

Seduict leur Roy Royne plus outragee (4)


Ce quatrain évoque les événements qui ont précédé la reddition de plusieurs villes flamandes, dont Lille, Courtrai, Bruges et Ypres, en 1297, suite à la campagne militaire française, ainsi que la visite des souverains français, Philippe le Bel et Jeanne de France, à Bruges, en 1301.


Vers 1


En ce temps là

Le Temple


sera frustree
a été privée, a été empêchée


Cypres
Ypres, qui faisait partie du diocèse de Thérouanne et qui était la première Maison du Temple sur le continent européen, de sorte qu'elle a été la mère de nombreuses autres.


Vers 2


De son secours
aide, assistance

de ceux de mer
les membres de la maison mère


Egee
La Maison de Saint-Léger, qui était la fille de la Maison d'Ypres


Vers 3


Vieux : Templiers

Trucidez : tués, mis à mort

mais par : malgré

mesles et lyphres : Ypres; en grec, discours, supplications


Traduction : La Maison du Temple d'Ypres a été privée de l'aide de la Maison de Saint-Léger et les Templiers âgés ont été tués dans la mêlée malgré leurs supplications


Vers 4


Seduict leur Roy : Philippe le Bel

Reine : Jeanne de Navarre

Outragee : vexée, dépitée


Lors de leur visite dans plusieurs villes flamandes, en 1301, le roi et la reine pouvaient admirer leur étendue, leur propreté, leur richesse et leur beauté, ainsi que l'ordre et l'opulence qui y régnaient. Devant le luxe et la magnificence des habits, des parures et des bijoux des dames brugeoises, la reine s'écria avec dépit : "je croyais être ici la seule reine, mais j'en vois plus de 600." (Alexandre-Guillaume Chotin, Histoire de Tournai et du Tournésis, pp. 241 à 244)


VI.53

Le grand Prelat Celtique à Roy suspect (1)

De nuict par cours sortira hors de regne (2)

Par Duc fertile à son grand Roy Bretaigne (3)

Bisance à Cypres et Tunes insuspect (4)


Vers 1


Le grand Prelat : le Pape, qui est le supérieur ecclésiastique

Celtique : Célestin V

à Roy suspect : suspect d'hérésie aux yeux de Philippe Le bel et de ses conseillers


Vers 2


De nuict par cours sortira hors de regne

Après un pontificat très court, qui n'a pas duré plus de 5 mois, Célestin V a abdiqué en 1294


Vers 3


Par Duc : Henri III Plantagenet était à la fois le Duc de Bretagne et le Duc d'Aquitaine ; à ce titre, il était juridiquement le vassal du Roi de France, à savoir Louis IX, dit Saint Louis.
Fertile : servile, vassal

à son grand Roy Bretaigne : Henri III Plantagenet était le Roi d'Angleterre et d'Irlande (1207-1272)


Par le Traité de Paris, signé le 28 mai 1258, a mis fin à un siècle de conflits entre les Capétiens et les Plantagenêts. Le Roi de France, Louis IX, reconnaissait la suprémation du Roi d'Angleterre, Henri III, sur les territoires situés dans les régions du sud-ouest, à savoir le Limousin, le Périgord, la Guyenne, le Quercy, l'Agenais et la Saintonge au sud de la Charente, qui étaient des possessions anglaises depuis 1258, mais ce dernier s'engage, pour ces possessions, à rendre l'hommage féodal qui revient à son suzerain. En échange, le Roi d'Angleterre abandonnait ses revendications sur les autres territoires continentaux, à savoir le Duché de Normandie et les Pays de Loire (la Touraine, l'Anjou, le Poitou et le Maine), qui avaient été confisqués par son aïeul, Philippe Auguste, au père d'Henri III, Jean sans Terre, et qui furent, dès lors, rattachés à la courronne française. Ainsi prenait fin ce qu'il est convenu d'appeler la Première Guerre de Cent Ans.


Vers 4


Bisance à Cypres : Ypres est la Maison du Temple qui est la mère de la Maison de Saint Léger. Chypres constituait une base d'attaque pour les croisés, dont ils se sont servis lors de la septième croisade. L'île avait été conquise sur les Byzantins par Richard Cœur de Lion, qui avaiet débarquaé à Limassol, le 1er juin 1191, en route pour la croisade, suite à une tempête. En 1185, un prince byzantin, Isaac Comnène s'était rebellé contre le règne de l’Empereur de Bysance, Andronic Ier Comnène, et il avait prit le pouvoir sur l'île. Le gouvernement impérial, aux prises avec les pillages des croisés et des musulmans, s'était avéré incapable de réagir. Mal accueilli par Isaac Doukas Comnène, il avait forcé ce dernier à lui fournir une aide dans sa croisade contre Saladin. La flotte des croisés avait quitté Chypres pour Saint-Jean-d'Acre le 5 juin 1192, mais l'armée continuait d'occuper l'île. C'est à cette époque que la capitale devient Nicosie. Suite à une révolte, Richard Coeur de Lion vendit l'île à l'Ordre du Temple, dont son ami, Robert de Sablé, était le Grand Maître depuis quelques mois, pour 2.500 marcs d'argent, à charge pour les Templiers d'assurer le maintien de l'ordre. L'année suivante, lorsque Conrad de Montferrat devient le Roi de Jérusalem, Richard Coeur de Lion demande à Robert de Sablé de revendre l'île à Guy de Lusignan, à titre de compensation pour la perte du Royaume de Jérusalem, dont il avait été chassé par ses propres barons. Il s'y installe avec un grand nombre de français qui avaient perdu leurs fiefs palestiens. Suite à cette opération, les Templiers déplacent leur base opérationnelle orientale vers Saint-Jean-d'Acre, qui devient la maison cheftaine de leur ordre pour un siècle. Guy de Lusignan meurt en 1194, laissant l'Ile de Chypre à son frère aîné, Aimery, qui obtiendra l'investiture royale en 1195 de mains de l'Empeur germanique, Henry VI, qui avait succédé à son père, Frédéric Barberousse.


Tunes insuspect : Tunis, où est mort de Saint Louis lors de la 8ème croisade, n'a pas été prise d'assaut. Après la bataille qui a permis la victoire des troupes françaises sur les musulmans, la ville a été laissée aux moins de son sultan suite à la conclusion d'un accord.


Ce vers résume en six mots la septième et la huitième croisade.


La septième croisade est la première des deux expéditions entreprises sous la direction de Louis IX, dit Saint Louis, qui en avait pris la décision en 1244. Dès 1247, Louis IX il avait envoyé à Chypre une équipe chargée d’organiser l’intendance et le ravitaillement des opérations en vue de la reconquête de la Terre Sainte. L'embarquement du gros de troupes avait eu lieu à Aigues-Mortes l'année suivante, au mois d'août, avec une grande partie de la noblesse française. La flotte avait débarqué au mois de septembre à Limassol, où elle est reçue par le Roi de Chype, Henri Ier de Lusignan, avant son hivernage sur  l’île, en vue de permettre aux chefs de la croisade de préparer leur stratégie. Etant donné qu'il n’était pas envisageable de marcher directement sur Jérusalem, les croisés avaient décidé de débarquer en Égypte pour y prendre plusieurs villes à échanger contre Jérusalem. Vaincue par les maladies, l’armée n'a retrouvé sa liberté qu’en 1250, et le Roi de France a passé les quatre années suivantes à mettre le Royaume de Jérusalem en état de se défendre contre les Mamelouks. La croisade prend fin en 1254, avec le retour de Louis IX sur le sol français.


La huitième croisade est lancée par Louis IX, à la suite des menaces que les Mamelouks font peser sur les États latins d'Orient. Au mois de juillet, alors que la flotte fait relâche à Cagliari en Sardaigne, il annonce que Tunis est le premier objectif de l'expédition. Malgré l'effet de surprise du débarquement, le 18 juillet 1270, les fortifications de la ville ont pu être réparées et son approvisionnement a continué d'être assuré. La situation des croisés s'avère intenable en raison de l'absence d'eau potable. La plaine de Carthage est occupée et la ville prise d'assaut, mais, contrairement aux attentes des croisé, le sultan se retranche en attendant le secours des Mamelouks, qui s'étaient regroupés  dans le Delta du Nil, en vue d'affronter un débarquement. Le Commandeur du Temple annonce l'arrivée prochaine de Charles d'Anjou et Louis IX décide d'attendre, afin de pouvoir attaquer la Ville de Tunis avec un maximum de forces comattantes. La canicule rend le séjour des croisés insupportable, l'eau des puits n'est pas toujours potable et la maladie se répand rapidement dans leur camp. Après son fils, Louis IX meurt le 25 août 1270, le lendemain de l'arrivée des navires de Charles d'Anjou. Le nouveau roi, Philippe III, n'est pas suffisamment expérimenté pour prendre le commandement. Charles d'Anjou prend la direction des opérations et réussit à s'emparer du camp musulman le 24 septembre 1270. Connaissait les méthodes d'évitement et de harcèlement employées par les musulmans, il fait rassembler divers navires et bateaux sur un étang proche de la ville. Effrayés par la perspective d'un débarquement massif dans le port, les musulmans renoncent à leur tactique habituelle et se regroupent en vue du combat, ce qui permet une véritable bataille au cours de laquelle les troupes de Charles d'Anjou et de Robert II, le Comte d'Artois emportent la victoire. Parmi les croisés, les morts sont nombreux en raison des maladies. Charles d'Anjou ne souhaite pas la prise de la ville et le sultan, dont l'armée est décimée de la même manière par les épidémies, souhaite négocier. Un accord est conclu le 30 octobre 1270. Le sultan versera une indemnité de 210.000 onces d'or, reprendra le versement du tribut dû à Charles d'Anjou en sa qualité de Roi de Sicile, chassera les partisans gibelins de sa cour, accordera la liberté de commerce aux marchands chrétiens, ainsi qu'aux religieux chrétiens le droit de prêcher et prier publiquement dans les églises. En échange, l'armée des croisés évacue la ville en laissant les engins de guerre qui avaient servi pour le siège, qui seront réclamés deux ans plus tard.